On n'échappe pas au parfum. Il a progressivement
colonisé les produits d'hygiène pour le corps, les cheveux, les
vêtements, la maison, et multiplie désormais les apparitions insolites. "Consommer
ne suffit plus, il faut que l'acte d'achat constitue une expérience
émotionnelle. Ainsi, le parfum qui surgit d'objets inattendus étonne et
apporte un plaisir supplémentaire", remarque le sociologue Gilles Lipovetsky, coauteur de l'essai intitulé L'Esthétisation du monde. Vivre à l'âge du capitalisme artiste
(Gallimard, sortie prévue le 21 mars). Pour preuve, l'arrivée de gants
en cuir de la Maison Fabre, parfumés grâce à une poudre de senteur, en
vente à partir
du 24 avril dans son nouvel espace au château de Versailles, ainsi que
des carnets odorants. Idem chez l'Artisan parfumeur, qui vient d'associer son célèbre Mûre et Musc à une paire de gants de la maison Causse.
L'idée avait déjà été exploitée par le nez Francis Kurkdjian qui, après avoir
lancé des lessives et des bracelets parfumés, proposera bientôt des
boules antimite "qui sentent bon", ainsi qu'un porte-clés pour transporter
son effluve préféré partout avec soi. Dans ce domaine, les curiosités
olfactives ne manquent pas : cahier "ambré fumé" chez Le Labo, gommes
odorantes chez Astier de Villatte, papier cadeau à l'eau de Cologne chez
Acqua di Parma, caoutchouc parfumé à l'encens à placer dans les armoires chez Frédéric Malle, et même un bracelet "main forte", imaginé par Les Liquides imaginaires, à porter sous ses gants de boxe.
MOBILISER TOUS LES SENS
"Ce processus consiste à réenchanter l'univers de la consommation
en mobilisant tous les sens. Les dimensions tactile et visuelle sont si
saturées que l'odeur agit comme un instrument de différenciation", complète le sociologue Gilles Lipovetsky. Un marketing sensoriel qui ne se limite pas au luxe
mais touche des produits usuels grâce à la technique d'encapsulation
développée par IFF, une société qui produit des senteurs et des arômes
dans le monde entier. "Nous avons créé des brosses à dents et des
rasoirs dont les manches contiennent des molécules odorantes, ainsi que
des sacs-poubelle capables de neutraliser les mauvaises odeurs", raconte Christophe de Villeplée chez IFF.
Mais pourquoi une telle obsession pour la perfection olfactive ? "Les
odeurs corporelles sont désormais inconsciemment perçues comme des
toxines, et elles sont incompatibles avec l'idée qu'on se fait de la
bonne santé, répond Pierre Bisseuil, consultant au cabinet Peclers, à Paris. D'ailleurs, la parfumerie élimine les notes animales et fractionne les matières naturelles pour les rendre plus "propres"." Sans oublier qu'il s'agit aussi de personnaliser son allure sans rien omettre : "Jamais la montée des individualismes n'a été aussi forte, on possède aujourd'hui plusieurs parfums pour exprimer toutes les facettes de sa personnalité, et la multiplication des supports parfumés participe, comme le font les réseaux sociaux, à la projection d'une identité rêvée", ajoute
Pierre Bisseuil. Dans un monde où de plus en plus de relations sont
devenues virtuelles, les fragrances permettent de réincarner les sens.
Lili Barbery-Coulon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire